« Grand Frère » de Mahir Guven

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Un récit sincère écrit à deux voix. Difficile de savoir où l’on va quand on ne sait pas d’où l’on vient.
Leur père est mi-kurde, mi-syrien. Il a fait des études là-bas. Mais à Paris, il a fait toute sa vie le taxi et son français est toujours aussi aléatoire. Leur mère, bretonne, est trop tôt partie. Alors, que sont-ils, eux, ces deux frères ? Quelle est leur place dans la société ? Bien difficile de construire, de se sentir intégré. Sont-ils français ou syrien, musulmans ou chrétiens ? Emigrés ? Non…. Mais ils prennent tout de plein fouet, les problèmes de l’émigration, le mal être de la jeunesse dans les banlieues sans devenir. Et puis ce désir de devenir quelqu’un, de se faire une identité, de se rendre utile pour exister, la radicalisation aussi… « Quoi qu’il vous arrive dans la vie, toutes les routes mènent à la tombe. Une fois que le constat est fait, faut juste trouver une raison de vivre. » (p. 9)
Et au milieu de tout cela, le lien qui unit les deux frères est indéfectible. Grand frère ne supporte plus les dérives de son frère et pourtant, il tremble à l’idée de l’avoir perdu et il est prêt à tout perdre pour le sauver des autres et de lui-même.
Grand frère n’est pas taxi. Lui, il est « Uber », il a acheté le véhicule, le costume et la cravate, il regarde la société derrière le volant de son VTC. Petit Frère a fait des études, le maximum : il est infirmier. Médecin ce n’est pas pour les gens comme lui. Il a envie d’aider, de venir au secours des enfants de Syrie, il partira. Il s’investira, il voudra revenir. Chacun des deux frères donnent à tour de rôle son point de vue, sa façon de voir les choses. Quand Petit frère rentrera de Syrie, il mettra en péril le fragile équilibre de la vie de Grand Frère qui avait réussi difficilement à « se faire une situation » malgré les traites de la voiture, le loyer de l’appartement. Il s’était enfin « rangé » et se voyait déjà avec femme et enfants… On sait ce qui attend ceux qui rentrent de Syrie clandestinement et ce qui attend ceux qui les aident. Mais Grand Frère, ne peut pas laisser son frère, il l’aidera au risque de tout perdre et il l’hébergera. Et quand il croit que son frère a commis l’irréparable, là encore, il ne le laisse pas tomber.
Le ton est juste et sincère. On les voit bien ces deux frères qui cherchent leur voie au milieu des barres d’immeubles d’une banlieue grise, perdus entre la « culture Uber » et le djihadisme. Chacun a pris une route, sa route, il aurait pu en prendre une autre…
Parlons du vocabulaire employé dans le texte : on a un peu tout du verlan à l’arabe en passant par l’argot des banlieues mais pas de souci, un glossaire de fin d’ouvrage permet de ne pas se perdre. Bon, il faut s’y reporter régulièrement mais cela ne nuit pas à la lecture car on en connait certains et pour certains autres, le sens est induit par la phrase.
C’est le premier roman de Mahir Guven apatride né en 1986, d’une mère turque et d’un père Kurde réfugiés en France. Après un bac d’économie, il fait des études de gestion et de droit à la fac d’Angers puis à la Sorbonne qu’il finance en faisant des petits boulots ( ramasseur de muguet, laveur de carreaux, télé conseiller, enseignant, vendeur à la FNAC). En janvier 2014, il rejoint Éric Fottorino, Natalie Thiriez et laurent Greilsamer pour lancer le journal « Le 1 ». Il en devient le directeur exécutif en septembre 2016, en charge du développement, de la diffusion et des finances. Il quitte le journal 4 ans plus tard pour se consacrer à des projets personnels.
Grand Frère est récompensé par plusieurs prix littéraires dont le Goncourt du premier roman en 2018.

« Grand Frère » de Mahir Guven aux Edts Philippe Rey

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